La novlangue politique
Les discours et débats politiques sont couramment ruinés par le mésusage (intentionnel ou non) de certains mots. On nomme parfois ceci la novlangue même si ce n'est pas réellement une nouvelle langue mais seulement une dérive de certains termes.
Démocratie et République
Commençons par démocratie et république. Aussi loin que je me souvienne j'ai toujours entendu dire que la France est une république démocratique, qu'il faut la défendre et y participer, notamment via les élections. Mais ces dernières années des voix se sont levées contre cette vision.
En effet selon leurs sens originels, "démocratie" et "république" sont deux régimes politiques opposés.
Dans une démocratie les citoyens exercent directement le pouvoir, ils n'élisent personne pour gouverner à leur place. Pour les tâches ne pouvant être accomplies par l'ensemble des citoyens, des représentants sont tirés au sort. Ce sont des mandats de courtes durées et les sélectionnés doivent rendre des comptes.
À l'opposé, une république est une oligarchie élective. Le peuple renonce à exercer le pouvoir en le confiant à une élite gouvernante, comme en atteste cette citation de l'abbé Sieyès (un des auteurs de la première Constitution française):
Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; donc ils n'ont pas de volonté particulière à imposer. Toute influence, tout pouvoir leur appartient sur la personne de leur mandataire, mais c'est tout. S'ils dictaient des volontés ce ne serait plus un état représentatif, ce serait un état démocratique.
On peut être démocrate ou républicain (aucun rapport avec le bipartisme des États-Unis), ce sont deux positions défendables, mais on ne peut pas être les deux en même temps.
Technocratie
Face à des lois comme HADOPI, certaines personnes s'y connaissant ou croyant s'y connaître en informatique ont commencé à remettre en cause la légitimité des parlementaires à légiférer sur des domaines qu'ils ne maîtrisent pas.
Or en république la seule légitimité est celle de l'élection, et en démocratie celle de la citoyenneté. Le régime dans lequel les "experts" sont au pouvoir s'appelle la technocratie.
Cette citation de Stéphane Bortzmeyer résume bien le problème de cette approche:
Est-ce que les lois sur l'Internet doivent être faites exclusivement par les geeks, les lois sur l'agriculture uniquement par des paysans et les lois sur la santé seulement par des médecins ?
Une loi sur tel ou tel domaine n'affecte pas que les professionnels ou amateurs du domaine en question, elle affecte potentiellement la population entière. C'est pour ça que ce ne sont pas les "experts" qui doivent décider mais bien des représentants de toute la population.
Anarchisme et Libéralisme
Dans les idéologies anti-autoritaires, l'anarchisme et le libéralisme ont souffert des déformations et contre-vérités.
Le mot "anarchie" est fréquemment utilisé péjorativement comme synonyme de désordre alors que l'anarchie est l'absence de gouvernement, d'autorité, pas l'absence d'ordre. Les anarchistes sont également souvent assimilés à des utopistes ou des terroristes.
Ces préjugés font que plusieurs groupes de personnes hésitent à se revendiquer de l'anarchisme alors qu'ils font clairement partie de la grande famille anarchiste, c'est par exemple le cas d'Anonymous ("No leaders no followers") et des défenseurs du P2P.
Le libéralisme a plutôt dérivé dans l'autre sens. Il a été sali par des néo-libéralismes consécutifs qui lui ont fait dire tout et son contraire, s'éloignant toujours plus du sens originel de défense de la liberté des citoyens pour se focaliser seulement sur le rôle de l'État dans l'économie.
De nombreuses personnes accusent le libéralisme de tous les maux et en particulier d'être responsable de la crise économique et financière actuelle, alors qu'en réalité qualifier notre économie de libérale est un contresens du même niveau que d'affirmer que nous sommes en démocratie.
Communisme, Socialisme et Capitalisme
Ce trio issu des travaux de Marx a été tellement détourné que l'utiliser est un terrain très glissant. Aucun de ces termes n'a de définition précise et consensuelle, chacun traîne une pléthore de préjugés. En général je les boycott en les qualifiant de clivages dépassés.
Marxisme, Gaullisme, Keynésianisme, etc
Il faut arrêter de désigner des courants de pensée par les noms de famille des personnes qui les ont soi-disant lancé: Marxisme, Gaullisme, Keynésianisme, etc. S'ils étaient encore vivants, avec quel pourcentage de ce qui est dit en leurs noms seraient-ils d'accord ?
Gauche versus Droite
Le faux clivage gauche/droite, en plus de n'avoir aucune définition précise et consensuelle, n'a aucun sens étymologique. Il divise artificiellement le pays en deux camps prétendument opposés et a été critiqué comme étant une vision simpliste de la politique. Plusieurs représentations en deux dimensions ont été créées, certaines conservant un axe gauche/droite:
et d'autres l'abandonnant complètement:
Conclusion
Le langage est la base de tout échange d'idées, si nous n'utilisons pas correctement des mots aux définitions claires et consensuelles le dialogue est impossible.
Comments
Le clivage g/d est une simplification de la vie politique et du débat démocratique qui conserve les élites gouvernantes en place. Je ne remets pas en cause la sincérité d'un homme politique quand à son engagement à droite ou à gauche, ne clame pas que ce sont « tous les mêmes ». Je regarde le jeux politique sous l'angle systémique et ce clivage comme un mécanisme qui l'entretien dans son état d'équilibre (cf. homéostasie). En gros participer à leur politique aujourd'hui revient à se décliner sur l'axe gauche/droite, une autre dimension est exclue.
Bref, cette polarité politique vide le débat de toutes les nuances qui pourraient nous aiguiller sur des solutions alternatives.
Le résultat est le sentiment d'impuissance et d'inexistence d'autre voies.
bref, merci pour ton article k.
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